Sur la base d’un travail clinique auprès de quatre patientes adultes souffrant de troubles du comportement alimentaire, nous décrivons deux modalités articulées de l’habitat : la tanière et le territoire. Le territoire est la maison parentale, où les patientes ont grandi ; la tanière est leur logement actuel. Le territoire est un lieu de rivalité et de conflits avec les parents et la fratrie. Les patientes y sont intensément attachées, elles exercent une surveillance étroite impliquant de fréquentes visites d’inspection, et réagissent fortement aux changements dans la maison. Même en leur absence, elles hantent le territoire. En contraste, la tanière est peu investie, presque un lieu de circonstance, la possibilité d’une fuite rompant tout lien avec le monde extérieur, pour s’abandonner aux crises boulimiques. Elle constitue une échappatoire aux exigences posées par les relations sociales, vécues douloureusement comme un danger d’empiètement ou de rejet. Nous suggérons ainsi que les troubles alimentaires, en lien avec des difficultés fondamentales dans le processus d’émancipation, produisent des altérations spécifiques dans le mode d’habitat. Ces altérations se renforcent mutuellement et peuvent se comprendre comme des solutions pathologiques aux difficultés d’émancipation. Cette première description clinique invite à poursuivre, de façon plus systématique, l’investigation empirique des enjeux liés à l’habitat dans cette population.

Clinical and phenomenological exploration of the manner in which patients with eating disorders inhabit their dwellings.

Discussion of a series of four adult patients treated in long-term psychotherapy.

We describe two distinct, interrelated modes of dwelling: the den and the territory. The territory is the parental home, where the patients grew up; the den is the current place of living. The territory is an arena of rivalry and conflicts with parents and siblings. Patients have a strong attachment to the territory, exerting a sharp surveillance through frequent inspection visits, with violent reactions to changes happening in the house. Even in their absence, they haunt the territory. In contrast, the den is a place where they disappear, severing all links with the outside world and abandoning themselves to binge eating. The den is an escape from the demands of social relationships, painfully experienced as intrusions or the threat of desertion.

Eating disorders, because they are related to fundamental difficulties in the processes of emancipation, result in specific, altered modes of dwelling. These alterations are mutually reinforcing, and can be understood as pathological solutions developed in response to difficulties in the emancipation process. Systematic, empirical studies would help to shed more light on modes of dwelling in eating disorders. These aspects of the patients’ experience should be included in clinical care.